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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 21:36

Suite à  l'intervention de Mr Radu Barna du 09/10/13, Maître de Conférence à l'Université de Cluj, nous avons été sensibilisés à projet contesté de l'exploitation minière de Rosia Montana.

Rosia Montana est un village des montagnes karstiques Apuseni, de l’Ouest de la Roumanie, qui prend une part de plus en plus importante dans le débat public roumain et tend à se faire connaitre au-delà des frontières. L’objet de l’article concerne le consortium ayant vocation à relancer l’exploitation minière dans ce village et qui engage le gouvernement roumain et Gabriel Ressources ltd (exploitant minier canadien). Le territoire se retrouve confronté à un projet d’intérêt national, piloté en grande partie par un investisseur privé. Au-delà de la question des rapports de forces qui se pose nécessairement, les Roumains se retrouvent aujourd’hui confrontés à leur passé. Le régulateur ne permet plus d’assurer la protection foncière de ses administrés.

Bien que l’histoire de l’aménagement soit coutumière des conflits entre aménageurs (puissance publique et opérateur) et usagers, ce cas (ré)interroge bien plus que les dimensions inhérentes à l’aménagement et au développement territorial. Pour la Roumanie, mais pas seulement, ce village à première vu « banal » concentre les principaux enjeux liés à l’aménagement du territoire. Il permet de démontrer par exemple que la notion de développement ne peut se résumer au domaine strictement économique. Ceci, dans la mesure où cette notion, au travers de sa mise en œuvre, investie les sphères du social, de la culture, de l’environnement et comporte nécessairement une dimension qui est politique.   

Contexte :

La Roumanie est depuis 1989 en phase de transition économique, politique et institutionnelle. En un peu moins de 25 ans, et depuis sont entrée dans l’Union Européenne en 2007, le pays à connu une croissance économique soutenue par les principaux pôles urbains, ce qui a néanmoins fortement accentué la fracture ville-campagne (niveau d’équipement, démographie, revenus, etc.). Aussi, dans ce pays néolibéral, les carcans permettant de réguler les entreprises, et notamment les multinationales, se heurtent souvent à l’injonction faite au politique d’un impératif au développement. En se basant principalement sur un différentiel de coût de production, l’investissement étranger est un levier de développement majeur pour ce pays, d’autant plus lorsque celui-ci s’intéresse de près au plus important gisement d’or européen.    

Rosia Montana est un territoire bien particulier par rapport au reste du pays. Il comporte des spécificités uniques du fait des puissants référentiels historiques, patrimoniaux et sociaux forts « a minima » de trois millénaires. Les Romains ont occupé pendant un siècle cette région, s’en est suivi les colons Prusse puis Habsbourg constituant une identité territoriale bâtie autour de l’exploitation de l’or. Les héritages et legs de l’histoire faste sont multiples : vaste réseau de galeries souterraines, nombreux lacs d’exploitation, sept lieux de cultes de confessions différentes, ainsi que des habitations au profil architectural unique pour la région (bâties avec les rentes minières).

Aujourd’hui, le village ne vit plus de l’or. Cette ressource aurifère n’est plus présente sous forme de filon, et donc, l’extraction par le biais de galerie dans la roche n’est plus rentable. Le consortium vise à relancer l’exploitation pour une période de 17 ans afin de valoriser la ressource présente en très fines particules dans la roche. La technique nécessite de broyer la roche (dynamite) puis de la dissoudre (solution comportant du cyanure). Ces techniques d’extraction ont des impacts sur le paysage (quatre mines à ciel ouvert), l’environnement (création d’un lac de décantation de 600 hectares pour les solutions de cyanure) et sociaux économique (exacerbation des clivages et dépopulations du village).  

 

Discussion : vers une socialisation des coûts ?

La Gold Corporation est un consortium à 20% public (Minvest) et 80% privés (Gabriel Jersey et Starx Ressources). Les deux entités privées ont leurs sièges enregistrés sur l’Ile Jersey pour l’une et aux Iles Cayman pour l’autre.

Pour permettre l’avancée du projet, le zonage fonctionnel de la région a été redéfini en espace mono-industriel. Ceci exclu toute alternative au projet minier. En absence de consensus et au vu des premières contestations, le texte relatif à la liberté de manifestation a été remanié afin d’en limiter l’ampleur. Mais surtout, comme l’exploitation est difficilement possible tant que la zone est peuplée, l’État a délégué sa compétence régalienne d’expropriation au consortium. Ce dernier est en possession de plus de la moitié des maisons sur place et de près de la moitié des terrains voués au projet.

La dissymétrie du contrat est très controversée et sa réalisation a fait transparaitre un manque de clarté pour l’opinion publique. Ainsi, on estime les ressources en minerais à hauteur de 330 tonnes d’or, 1 600 tonnes d’argent. Le contrat actuel montre un déséquilibre quant au partage de la rente liée à l’or (l’État récupèrerait moins de 20% de la rente soit 17 milliards d’euros au total). Mais surtout, les autres ressources minérales tendent à être captées par l’entreprise, sans participation pour la partie roumaine. Pourquoi donc une telle dissymétrie dans ce partenariat ? Comment expliquer la prise de risque d’acteur politique (perte de légitimité, de capacité régulatrice, de crédibilité) ?

Il semble que l’entreprise soit parvenue à maximiser ses résultats financiers en transférant ses coûts sur l’État. En effet, le contrat initial et les compétences lui ayant étant cédés facilitent la mise en place à priori du projet. Aussi, après exploitation, la gestion du site et de ses risques technologiques et environnementaux (barrage de 180 mètres de haut retenant 200 millions de mètres cubes de solution de cyanure) revient à la charge de l’État et ceci pour une période indéterminée (indéterminable ?).

Nous sommes dans l’exemple paroxysmique de la socialisation des coûts et d’une privatisation des profits. L’acteur public est entré dans cet exemple dans la temporalité et la logique qui est celle de la multinationale (rentabilité des ressources à court terme) au détriment de son impératif à concevoir le développement en phase avec les temporalités territoriales. Les pouvoirs publics ne sont pas parvenus à réguler les parties privées du contrat et pire encore, favorise la dissymétrie et sa propre perte de légitimité en réduisant ses capacités de coercitions. Ce cas questionne la place accordée à un territoire vis-à-vis des autres niveaux scalaires, lorsque des enjeux locaux se heurtent aux enjeux nationaux. 

La Roumanie est-elle assise sur une « mine » d’or ?
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commentaires

R
Excellent travail ! Bravo !
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